Je vous propose, ci-après, un texte du philosophe russe Léon Chestov : « Aphorisme XLIV », dans Athènes et Jérusalem, Ed. Le Bruit du Temps, 2011, p. 508.
La lumière du savoir. — Salieri, dit Pouchkine*, vérifiait l’harmonie par l’algèbre ; mais il ne lui était pas donné de « créer », et il s’étonnait, il s’indignait même que Mozart, qui ne s’occupait pas de cette vérification, entendît des chants célestes que lui, Salieri, ne parvenait pas à entendre. Son indignation n’était-elle pas justifiée ? Dès cette vie déjà « le fêtard oisif » est admis sous le porche du paradis, tandis que le travailleur honnête et consciencieux est laissé dehors et attend vainement d’être appelé. Mais il est dit dans un livre ancien, « les voies de Dieu sont impénétrables. » Il fut un temps où les hommes le comprenaient, où ils comprenaient que la route qui mène à la Terre promise ne se révèle pas à celui qui vérifie l’harmonie par l’algèbre, à celui en général qui « vérifie ». Abraham partit sans savoir où il allait. S’il s’était mis à « vérifier » il ne serait jamais parvenu à la Terre promise. C’est donc que les vérifications, les regards jetés en arrière, la lumière du savoir, ne ne sont pas toujours ce qu’il y a de mieux, contrairement à ce que l’on nous enseigne.
* Dans Mozart et Salieri, drame écrit en 1830.
Voir d’autres textes de Chestov mis à disposition sur le site de mon ami Ivsan, site réalisé en collaboration avec Dianitsa.